Rappel des critères de définition du caractère nosocomial de l’infection contractée par un patient et de la cause étrangère

Au cours de l’année 2010, un patient a bénéficié de la mise en place d’un anneau gastrique pour traiter une situation d’obésité.

Le 24 octobre 2012, il a subi une sleeve gastrectomie, doublée d’une cholécystectomie (ablation de la vésicule biliaire), réalisées par un chirurgien libéral au sein de la Clinique VAL DE LYS, laquelle est assurée auprès de la société AXA France IARD.

Une fistule gastrique ayant été diagnostiquée sur la ligne d’agrafes, le patient a présenté des récidives d’épisodes infectieux, associés à des douleurs abdominales.

Compte tenu du caractère récidivant de la fistule, la sleeve gastrectomie a été convertie en gastric by-pass.

L’intervention a été réalisée, le 10 février 2017.

Le patient a alors saisi la Commission de Conciliation et d’Indemnisation des Accidents Médicaux territorialement compétente, laquelle a désigné un Expert, dont le rapport déposé le 22 janvier 2018 a conclu à l’existence d’une infection nosocomiale.

Dans son avis en date du 15 février 2018, la CCI a estimé que les complications dont le patient a été victime (micro-fistules gastriques s’étant chronicisées malgré des soins conformes) :

  • Constituaient un accident médical non fautif ;
  • Ne constituaient pas une infection nosocomiale au motif que la colonisation de germes étaient inévitables dans le cadre d’une chirurgie bariatrique de sorte qu’une telle inévitabilité constituait une cause étrangère exonératoire de responsabilité pour la Clinique. Elle a par conséquent retenu que l’indemnisation des préjudices subis par le patient incombait à l’ONIAM.

Par exploit d’Huissier de Justice en date du 24 juillet 2018, la CPAM de ROUBAIX-TOURCOING a assigné devant le Tribunal de Grande Instance de LILLE la Clinique VAL DE LYS et son assureur, la société AXA France IARD, pour solliciter leur condamnation à lui rembourser les débours qu’elle a exposés.

Par jugement en date du 29 novembre 2019, le Tribunal de Grande Instance de LILLE a déclaré la Clinique VAL DE LYS responsable de l’infection nosocomiale contractée par le patient et condamné in solidum la Clinique et son assureur à payer à la CPAM de ROUBAIX-TOURCOING la somme de 45.833,41 euros au titre de ses débours.

Par déclaration en date du 30 décembre 2019, la Clinique VAL DE LY et la société AXA ont interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de leurs écritures, elles contestent l’existence d’une infection nosocomiale et soutiennent que les préjudices du patient et de la CPAM de ROUBAIX-TOURCOING sont imputables à un accident médical non fautif.

Or, par arrêt en date du 7 octobre 2021 (Cour d’Appel de DOUAI, 3ème, Chambre, 7 octobre 2021, RG n°19/06892), la Cour d’Appel de DOUAI a rejeté l’argumentation développée par la Clinique VAL DE LYS et la société AXA France IARD et confirmé le jugement rendu en première instance.

Dans cet arrêt, la Cour d’Appel de DOUAI prend notamment soin de rappeler avec précision les critères permettant, d’une part de retenir le caractère nosocomial d’une infection contractée par un patient et, d’autre part d’écarter l’existence d’une cause étrangère exonératoire de responsabilité pour l’établissement de santé.

En effet, aux termes de son arrêt, la Cour d’Appel de DOUAI précise :

« Il appartient au patient qui invoque une infection nosocomiale de démontrer, tant l’existence d’une telle infection nosocomiale que le lien de causalité entre les soins prodigués au sein de l’établissement de santé et l’infection contractée.

1.1 Sur la preuve du caractère nosocomial de l’infection :

1.1.1 Sur le caractère nosocomial de l’infection :

La clinique et son assureur contestent que l’infection résultant de l’apparition d’une fistule puisse être qualifiée de nosocomiale, dans la mesure où tant la fistule que l’infection en résultant n’ont été observées qu’après que X… avait quitté l’établissement de soins. Ils admettent en revanche (en page 10 de leurs conclusions) que la fistule est en relation avec le geste chirurgical.

Si l’article L.1142-1-I précité fait peser sur l’établissement de santé la responsabilité des infections nosocomiales, qu’elles soient exogènes ou endogènes, à moins que la preuve d’une cause étrangère soit rapportée, seule une infection survenant au cours ou au décours d’une prise en charge et qui n’était, ni présente, ni en incubation au début de la prise en charge peut être qualifiée de nosocomiale.

Si l’infection doit en principe être contractée au temps et au lieu de l’hospitalisation ayant donné lieu aux soins prodigués pour revêtir une qualification nosocomiale, ce double critère temporel et spatial s’apprécie spécifiquement s’agissant des infections des plaies opératoires.

Ainsi, les définitions standardisées établies par les comités de lutte contre les infections nosocomiales au cours des années 1990, émanant du rapport « 100 recommandations pour la surveillance et la prévention des infections nosocomiales », permettent de ne considérer une infection comme nosocomiale que si elle apparaît au moins après 48 heures d’hospitalisation. Si elle apparaît avant un tel délai, elle est considérée comme ayant été en incubation lors de l’entrée dans l’établissement et perd de ce fait son caractère nosocomial. En revanche, pour les infections de plaie opératoire, le délai de 48 heures précédemment évoqué est repoussé à 30 heures après l’intervention, même si le patient est sorti de l’établissement.

Contrairement aux allégations de la clinique et de son assureur, une telle présomption de rattachement spatio-temporel de l’infection à la présence du patient dans l’établissement de santé n’a pas été remise en cause par les travaux d’actualisation de la définition des infections nosocomiales, présentés au Haut Conseil de la santé publique le 11 mai 2007. En réalité, ces travaux visent essentiellement à élargir la définition antérieure de l’infection nosocomiale, tout en retenant que les critères retenus « font l’objet d’un consensus large et sont couramment utilisées dans le monde entier » et « notamment en France depuis les années 1990 ».

Selon le Comité technique des infections nosocomiales et des infections liées aux soins, les termes d’infection nosocomiale ou d’infection associée aux soins (IAS) englobent ainsi « tout évènement infectieux en rapport plus ou moins proche avec un processus, une structure, une démarche de soins, dans un sens très large. Une infection est dite associée aux soins si elle est directement liée à des soins ayant une finalité diagnostique, thérapeutique, de dépistage ou de prévention dispensés au sein ou en dehors d’un établissement de santé et si elle n’était ni présente, ni en incubation au début de la prise en charge mais peut aussi simplement survenir lors de l’hospitalisation indépendamment de tout acte médical ».

Enfin, l’article R.6111-6 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue du décret n°2010-1408 du 12 novembre 2010, dispose exclusivement que « les infections associées aux soins contractées dans un établissement de santé sont dites infections nosocomiales ».

Il en résulte que la référence aux définitions précitées ne présente aucune obsolescence, et que ce dernier texte n’a pas davantage vocation à remettre en cause les données acquises et actuelles de la médecine, que la Clinique et son assureur n’offrent pas de contredire par la production d’une littérature médicale à la fois contraire et probante.

A défaut de toute démonstration du caractère insuffisant ou inexact du rapport d’expertise contesté, la Clinique et son assureur ne peuvent valablement remettre en cause les compétences techniques de l’expert désigné par la CRCI par la seule référence à son statut de chirurgien viscéral.

Plus spécifiquement, la détermination du germe infectieux n’est pas nécessaire pour caractériser le caractère nosocomial de l’infection, notamment lorsque le germe est endogène.

En l’espèce, le rapport établi par le A…, chirurgien viscéral, établit en définitive que :

  • L’infection litigieuse ne constitue pas l’aggravation d’une infection en cours ou ayant existé lors de l’admission de X… à la Clinique pour y subir le sleeve gastrectomie le 23 octobre 2012 ;
  • L’intervention chirurgicale a été réalisée le 24 octobre 2012 ;
  • X… a quitté la clinique le 29 octobre 2012 ;
  • Les premiers signes d’une infection datent du 17 novembre 2012, un bilan biologique ayant alors relevé « la présence d’une collection d’allure infectieuse de 6 centimètres, accolée au bord gauche de la cavité gastrique restante, sans image de fistule visible ;
  • La réhospitalisation de X… est intervenue le 17 novembre, « à J24 post sleeve pour un abcès sur micro-fistule gastrique à la partie haute de l’estomac », traité par antibiothérapie et ayant nécessité une alimentation par sonde naso-entérale. L’existence de la fistule a ainsi été diagnostiquée valablement, après qu’ait été identifiée une telle complication initialement peu visible.

Il en ressort qu’une micro-fistule affectant la plaie opératoire a provoqué l’apparition d’une infection dans un délai inférieur à 30 jours à compter de la sortie du patient de la Clinique. L’infection doit ainsi être considérée comme ayant été contractée au sein de l’établissement, même si sa manifestation a été différée.

Le caractère nosocomial de cette infection est par conséquent établie.

1.1.2 Sur l’imputabilité de l’infection nosocomiale :

L’apparition de fistule gastrique constitue une complication connue des opérations bariatriques (taux allant jusqu’à 3,7% selon le A…). Cet expert précise que « les fistules gastriques post sleeve qui résistent au traitement conservateur bien conduit au-delà de quatre mois de prise en charge sont considérées comme chroniques et ont très peu de chance de guérir sans traitement chirurgical ».

La chronologie établie par le A… permet d’observer la continuité de l’infection subie par X…

(…)

La conclusion de l’expert, selon lequel « l’origine de l’infection est une fistule gastrique sur la ligne d’agrafes responsable d’un abcès récidivant » est ainsi conforme aux observations formulées par les personnels qualifiés ayant traité les infections de X… entre 2012 et 2017.

Il en ressort à la fois que :

  • La fistule ayant provoqué l’infection a pour origine la sleeve gastrectomie pratiquée le 24 octobre 2012 ;
  • La répétition d’épisodes infectieux résulte d’une même cause ayant récidivé à plusieurs reprises…

1.1.3 Sur la cause étrangère :

La CRCI a retenu l’inévitabilité de la contamination en raison de la nature de la chirurgie pratiquée pour en conclure à l’existence d’une cause étrangère exonérant la Clinique de sa responsabilité.

Une telle circonstance ne constitue toutefois pas une cause étrangère, à défaut de présenter d’une part un caractère imprévisible, même si une telle infection est rare dans ce type d’intervention chirurgicale, et d’être d’autre part extérieure à la Clinique sur laquelle repose la responsabilité d’une telle infection nosocomiale.

L’existence d’une cause étrangère est exclue, même si l’infection contractée par le patient a pu être provoquée par sa pathologie liée à un aléa thérapeutique, dès lors qu’une telle infection demeure consécutive aux soins dispensés.

En l’espèce, le caractère récidivant de la fistule, constitutif d’un accident médical non fautif, conduit à établir le lien de causalité entre les soins dispensés lors de la sleeve gastrectomie et les infections multiples qu’a subies X…

La responsabilité de plein droit de la Clinique est par conséquent retenue, la garantie de son assureur n’étant par ailleurs pas contestée ».

Le patient a donc bien été victime d’une infection nosocomiale.

Par ailleurs, il n’existe aucune cause étrangère pouvant exonérer la Clinique de sa responsabilité.

Par conséquent, cette dernière et son assureur seront tenus de rembourser à la CPAM de ROUBAIX-TOURCOING les débours exposés dans le cadre de la prise en charge médicale et chirurgicale du patient.

Source : www.tondu-avocat.fr - Maître TONDU Geoffrey (06/12/2021)

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