Possibilité de cumul pour le patient d’une indemnisation par les établissements de santé au titre de la perte de chance et par l’ONIAM au titre de la solidarité nationale

Le 26 janvier 2011, un patient a été admis au sein du Centre Hospitalier Universitaire de BORDEAUX pour la réalisation d’une greffe hépatique dont le greffon devait être prélevé au Centre Hospitalier du HAVRE.

Informée de la disponibilité du greffon par l’équipe de prélèvement du Centre Hospitalier du HAVRE, l’équipe chirurgicale du Centre Hospitalier Universitaire de BORDEAUX a débuté l’opération en procédant à des premiers gestes opératoires, en particulier le clampage du pédicule hépatique, qui rendaient l’hépatectomie irréversible.

Toutefois, l’équipe du Centre Hospitalier Universitaire de BORDEAUX a été contrainte de renoncer à implanter ce greffon, en raison de la détection, chez le donneur, d’une adénopathie cancéreuse.

L’implantation a néanmoins pu être réalisée, plusieurs heures après, grâce à un greffon obtenu en urgence du Centre Hospitalier de CHOLET.

A la suite de cette transplantation, la survenue d’une myélinolyse a entraîné de lourdes séquelles neurologiques chez le patient.

Ce dernier et son épouse ont alors saisi le Tribunal Administratif de BORDEAUX afin de solliciter, d’une part la condamnation solidaire du Centre Hospitalier Universitaire de BORDEAUX, du Centre Hospitalier du HAVRE et de l’Agence de la Biomédecine et, d’autre part, la condamnation de l’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux (l’ONIAM) à réparer les préjudices qu’ils estiment avoir subi.

Par jugement en date du 14 avril 2015, le Tribunal Administratif de BORDEAUX a condamné le Centre Hospitalier Universitaire de BORDEAUX à verser au patient et à son épouse la somme de 10.000 euros chacun et a rejeté le surplus de leurs demandes.

Par arrêts en date des 11 juillet 2017 et 2 avril 2019, la Cour Administrative d’Appel de BORDEAUX a condamné solidairement l’Agence de la Biomédecine, le Centre Hospitalier Universitaire de BORDEAUX et le Centre Hospitalier du HAVRE à verser au patient la somme de 206.289,97 euros, outre la somme de 245 euros à son épouse.

Pour ce faire, la Cour Administrative d’Appel de BORDEAUX a estimé que les fautes commises conjointement par l’Agence de la Biomédecine, le Centre Hospitalier du HAVRE et le Centre Hospitalier Universitaire de BORDEAUX, tant lors de la phase de sélection du premier greffon que lors des transmissions d’informations entre l’équipe de prélèvement et l’équipe de transplantation, ont privé le patient d’une chance, évaluée à 25%, d’échapper à la myélinolyse qui s’était déclarée à la suite de la transplantation hépatique.

En revanche, la Cour Administrative d’Appel de BORDEAUX a estimé que le dommage présenté par le patient ne présentait pas les critères d’anormalité et de gravité requis par le Code de la Santé Publique.

Par conséquent, l’ONIAM ne pouvait pas être condamné à verser une indemnisation complémentaire au patient au titre de la solidarité nationale.

Les différentes parties ont formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cette décision.

Or, comme le rappelle le Conseil d’Etat dans son arrêt en date du 15 octobre 2021 (Conseil d’Etat, 15 octobre 2021, Nos 431291 et 431347) :

« Il résulte des termes du II de l’article L.1142-1 du code de la santé publique que la réparation d’un accident médical par l’ONIAM au titre de la solidarité nationale n’est possible qu’en dehors des cas où cet accident serait causé directement soit par un acte fautif d’un professionnel de santé ou d’un établissement, service ou organisme mentionné au I du même article, soit par un défaut d’un produit de santé.

Lorsque, dans le cas d’un tel accident médical non fautif dont les conséquences dommageables remplissent les conditions prévues par le II de l’article L.1142-1 du code de la santé publique, une faute commise par un professionnel, un établissement ou un organisme mentionné au I du même article a, sans être la cause directe de l’accident, fait néanmoins perdre à la victime une chance d’y échapper ou de se soustraire à ses conséquences, cette dernière a droit à la réparation intégrale de son dommage au titre de la solidarité nationale, mais l’indemnité due par l’ONIAM doit être réduite du montant de l’indemnité mise à la charge d’un professionnel, de l’établissement, du service ou de l’organisme responsable de la perte de chance, laquelle est égale à une fraction des dommages, fixée à raison de l’ampleur de la chance perdue.

Par suite, il appartient au juge saisi par la victime d’un accident médical de conclusions indemnitaires invoquant la responsabilité pour faute d’un professionnel de santé ou d’un établissement, service ou organisme mentionné   au I de l’article L.1142-1 du code de la santé publique, de déterminer si l’accident médical a été directement causé par la faute invoquée et, dans ce cas, si l’acte fautif est à l’origine des dommages corporels invoquées ou seulement d’une perte de chance de les éviter. Si l’acte fautif n’est pas la cause directe de l’accident, il lui appartient de rechercher, le cas échéant d’office, si le dommage subi présente le caractère d’anormalité et de gravité requis par les dispositions du II de l’article L.1142-1 du code de la santé publique et doit, par suite, faire l’objet d’une réparation par l’ONIAM au titre de la solidarité nationale. Enfin, dans le cas d’une réponse positive à cette dernière question, si la faute reprochée au professionnel de santé ou l’établissement, service ou organisme mentionné au I de l’article L.1142-1 du code de la santé publique a fait perdre à la victime une chance d’éviter l’accident médical non fautif ou de se soustraire à ses conséquences, il appartient au juge, tout en prononçant le droit de la victime à la réparation intégrale de son préjudice, de réduire l’indemnité due par l’ONIAM du montant qu’il met alors, à ce titre, à la charge du responsable de cette perte de chance ».

Le Conseil d’Etat admet donc la possibilité d’un cumul, pour le patient, d’une indemnisation par les professionnels et établissements de santé au titre de la perte de chance et par l’ONIAM au titre de la solidarité nationale.

L’indemnisation due par l’ONIAM sera néanmoins réduite du montant de l’indemnité due par le professionnel ou l’établissement de santé responsable correspondant à la perte de chance.

Source : www.tondu-avocat.fr - Maître TONDU Geoffrey (03/01/2022)

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