Décès de Naomi Musenga : un rapport de l’IGAS étrille le SAMU de Strasbourg

Après la diffusion, en avril dernier, d’enregistrements mettant en évidence des dysfonctionnements dans la prise en charge  par le SAMU de Strasbourg  de Naomi Musenga, une patiente décédée le 29 décembre 2017, le ministre de la santé avait diligenté une enquête de l’IGAS, qui vient de publier ses conclusions.

Ces travaux ont consisté en une quarantaine d’auditions, mais aussi en l’étude du dossier médical et d’autopsie  ainsi qu’en l’écoute des conversations téléphoniques entre Mlle Musenga et différents services de secours.

Le 29 décembre 2017, Naomi Musenga est mise en relation une première fois avec le Samu à 11h28, « après avoir échangé avec l’opératrice » des pompiers, et ce transfert d’appel « se fait sur un ton moqueur », note l’IGAS.

A son tour, l’assistante de régulation médicale (ARM) « emploie un ton dur, intimidant et déplacé face à des demandes d’aide réitérées » et ne transfère pas l’appel à un médecin, « bien que deux médecins soient présents ». Elle ne pose alors « aucune question permettant d’éclairer l’état clinique de la patiente » et conseille plusieurs fois à la jeune femme d’appeler SOS Médecins, bien qu’elle ait dit « explicitement qu’elle n’était pas en mesure de le faire » ce qui provoquera encore une fois les railleries de l’ARM.

On apprend, par ailleurs, dans ce rapport qu’un autre appel au Samu a ensuite été passé par un proche de la jeune fille. Comme dans le premier cas, l’assistante de régulation, qui n’a pas fait alors le rapprochement entre les deux interlocuteurs, ne transmet pas l’appel à un médecin régulateur et elle le dirige de nouveau vers SOS Médecins. Ce n’est qu’après un troisième coup de téléphone, passé cette fois par SOS Médecins et pris par une autre assistante, que des secours sont envoyés.

Au total, l’IGAS estime que « les réponses non adaptées de l’assistante de régulation médicale ont conduit à un retard global de prise en charge de près de 2h20 ».

La charge importante de travail dans les centres de régulation du SAMU avait, un temps, été considérée comme responsable de cette mauvaise prise en charge, mais pour l’IGAS, il n’en est rien et l’institution estime que son enquête révèle une forte activité mais des conditions normales d’organisation. L’assistante de régulation n’était, quant à elle,  qu’à sa troisième journée de 12 heures de travail dans la semaine. Néanmoins, il est noté que la plateforme de régulation fonctionnait selon la procédure dite « dégradée » en raison de deux absences mais les effectifs étaient néanmoins conformes à ceux dit « cible ».

Concernant le nombre d’appels,  ils ont même été, ce jour-là, en deçà de la moyenne (1 664 contre 1 882), bien qu’au sortir d’une période très dense correspondant aux fêtes de Noël.

Au total, l’IGAS considère donc que les conditions de travail de l’ARM ne sont pas en cause, et qu’elle doit être suspendue, ce qui a d’ailleurs était fait, un mois après que les hôpitaux aient eu connaissance de l’événement. Elle est en outre, l’objet d’une procédure disciplinaire.

L’IGAS s’étonne également que Naomi Musenga n’a pas pu parler à un médecin régulateur, comme préconisé par les recommandations de la Haute autorité de santé : « alors que tout appel à caractère médical devrait être régulé par un médecin, la procédure en vigueur au Samu de Strasbourg permettait aux assistants de régulation médicale, dans certains cas, de traiter seuls ce type d’appels ».

Dans la même veine, « il pouvait être proposé à l’appelant de composer lui-même le numéro d’un médecin pendant la journée » dans certains cas, ce qui n’est conforme ni « aux recommandations de bonnes pratiques de la Haute autorité de Santé », ni « au référentiel de la Société française de médecine d’urgence ».

Enfin, il apparaît qu’alors que les procédures en vigueur à Strasbourg prévoyaient le transfert de l’appel à un médecin régulateur en cas de « douleur abdominale », ce dont se plaignait précisément Naomi Musenga, l’appel n’a pas été transmis « bien que deux médecins soient présents ».

L’IGAS conclut donc que « la procédure générale de régulation » appliquée par le Samu de Strasbourg au moment du décès fin décembre de Naomi Musenga n’était « pas conforme aux recommandations de bonnes pratiques » et « source de risque pour les patients ».

Le rapport de l’IGAS pointe également la prise en charge de la famille de Naomi Musenga après sa mort. Il estime ainsi que l’annonce de son décès « n’a pu se tenir dans des conditions satisfaisantes en l’absence de lieu dédié et adapté pour recevoir les familles au sein du service de réanimation », la famille en ayant « gardé le souvenir d’une annonce précipitée dans des conditions non satisfaisantes ».

Par ailleurs, « la transmission de l’enregistrement de l’appel au père de Madame Naomi Musenga n’a pas été assortie d’une proposition d’accompagnement, pourtant indispensable compte tenu de l’immense choc que pouvait constituer cette écoute. »

Autre erreur : le décès de Naomi Musenga « n’a pas donné lieu à une déclaration formelle, selon la procédure prévue pour les ‘événements indésirables graves » à l’ARS.

Concernant l’autopsie il est souligné que sa transmission à la famille ne s’était pas faite dans les délais prévus par la loi (plus d’un mois au lieu de huit jours) et qu’elle était en outre incomplète.

Enfin,  ce compte-rendu aurait abusivement utilisé le terme de putréfaction avancée, alors que l’IGAS souligne, que, sur ce point, le corps de Mlle Musenga a été correctement conservé.

Et maintenant ?
Face à cette situation, les inspecteurs ont appelé les Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS)  à élaborer « sans délai » un « plan d’action » que le directeur de l’établissement s’est engagé à mettre en œuvre « complètement ».

Le ministre de la santé a demandé aux urgentistes de lui faire des propositions d’ici le 1er juillet pour « améliorer les pratiques » dans trois domaines : la formation des assistants de régulation, la refonte et l’harmonisation des procédures du Samu au niveau national et l’instauration d’une « démarche qualité ».

Après la publication de ce rapport accablant, les HUS ont aussi annoncé avoir accepté, conformément aux recommandations de l’IGAS,  la démission du responsable du Samu de la ville en précisant que « cette demande de démission a été déposée spontanément au début de l’enquête, début mai ».

Source : www.jim.fr (21/06/2018)

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